Dans mon appartement, ça sent le café au lait et le tabac froid, c’est sucré et rugueux à la fois, assez écoeurant. Il y a toujours une odeur de renfermé aussi, malgré les fenêtres que j’ouvre sans arrêt. Les volutes font des nappes qui ondulent à peine, devant un écran où défile le clip dans lequel Shirley Manson se demande pourquoi on l’aime. Elles s’insinuent partout dans mon petit espace et mes rares visiteurs s’intoxiquent sitôt la porte franchie. Ici, il n’y a que l’aube qui est jolie. Chaque matin, je me réveille à 6 heures 25 précisément, programmée pour aller à l’Ecole même lorsqu’il n’y a ni cours ni réveil. Depuis quelques jours, j’ouvre les yeux au moment précis où les lumières de ma rue s’éteignent, j’aime bien, c’est bête pourtant, mais ça a un côté magique de s’éveiller pendant quelque chose qui n’arrive qu’une fois dans une journée pendant une seule seconde. Elles s’éteignent en grésillant très légèrement, un bruit semblable aux insectes qui se brûlent dans les lampes. Je serre un peu les oreilles de Bagpuss entre mes doigts, parce que ça m’aide à me rendormir parfois, plus depuis longtemps mais c’est devenu une habitude. J’ouvre ma fenêtre sur le froid et le jour bleuté. C’est ce moment là que j’apprécie vraiment, l’instant où je me dépose tout doucement dans la réalité, café au lait dans une main et cigarette au bout des doigts, dans une ambiance silencieuse et vaguement irréelle. C’est un peu l’ambiance que j’imaginais, quand Donnie Darko enfourche son vélo pour rentrer la dernière nuit avant l’évènement. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Rien n’a vraiment commencé, je suis comme en avance sur le temps et sur ce qui pourrait se produire, c’est ce sentiment là que je ressens… Je crois. Autour de moi, il y a des lettres, colis, factures, à poster depuis plus ou moins longtemps, certains ne seront jamais envoyés, je le sais déjà et je fais comme si je l’ignorais. Dans mon frigo, il y a toujours quelques aliments périmés, je les prends, je constate qu’ils ne sont plus consommables, alors je les repose machinalement là où je les ai pris, même s’il serait plus logique de les mettre dans la poubelle. “C’est un geste simple pourtant”. Oui, tout ne se résume qu’à des gestes simples en fait. Dans mon appartement, il y a toujours aussi des lampes qui ne fonctionnent pas parce que les ampoules sont grillées. J’ai surement des ampoules de rechange oui, mais quelque part. Car ici, c’est un peu particulier, je sais que mon lino bleu délavé absorbe les objets. Tout ce que je pose est amené à disparaître avalé, et sera régurgité tôt ou tard ailleurs dans la pièce. En dehors du matin, la lumière est toujours grise à l’intérieur, un gris variable, tour à tour brillant, terne, fade, opaque, mais du gris toujours. Ni orangé, ni blanc lumineux… Jamais d’éclairage chaleureux, parce que les immeubles d’en face font obstacle au soleil, jamais d’obscurité totale non plus à cause des lumières de ma rue, des cafés, restaurants, et boîte de nuit. Ce ne sont que des nuancés d’ombres. Il y a des fuites d’eau également, le bruit des gouttes m’agace souvent. La première image que j’ai eu en arrivant ici était extraite du film “Dark Water”, c’est dire. Parfois c’est le robinet, d’autres fois ça vient de la mezzanine où l’atmosphère est insuportable à cause de la laine de verre qui tapisse les poutres. De temps en temps, les gouttes d’eau tombent sur les fils électriques et quelque chose s’éteint, ça fera juste une lumière de moins. En fait cet endroit c’est à moi qu’il ressemble. Il y a ma mémoire dans les livres mal rangés, les disques trop nombreux et non classés où je ne retrouve jamais ce que j’ai choisi d’écouter, les objets désordonnés qui se découpent en ombres entassées sur les murs écaillés. Il y a ma fuite dans tous ces textes non envoyés et ces mots non avoués. Mon retard sur le temps et mon refus du présent à travers les aliments qui moisissent paisiblement. Mes mauvais souvenirs nauséabonds qui m’encombrent comme les poubelles qui s’entassent par dix avant que je ne me décide à les descendre. Les filets d’air sifflants quand je respire dans cet air vicié. Cet appartement tout entier provoque chez toute personne qui y vit un sentiment en particulier : l’impression d’être oppressée. “C’est un geste, un seul geste pourtant”. Le pire c’est que je le sais. Mais le plus étrange précisément, c’est que je me sens anormalement bien dans mon cocon étouffant, que personne d’autre ne supporterait…

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